Tiruvannamalai est l’un des lieux de pèlerinage les plus sacrés de l’Inde. On y voue un culte à la montagne Arunachala, considérée comme l’incarnation de Shiva, autour de laquelle on pratique la circumambulation. Au cours des siècles, beaucoup de saints et de sages ont habité la ville sainte, le plus célèbre étant le grand maître Ramana Maharshi qui y a vécu à l’époque contemporaine.
Lors du tour de l’Inde 2020 et de son passage au Tamil Nadu, Amma a visité Tiruvannamalai pour la troisième fois. La première fois qu’elle s’y est rendue, c’était en 1982 pour un pèlerinage de 10 jours, à la demande de ses jeunes disciples de l’époque. Ce qui suit est extrait des souvenirs de Swami Paratmananda (qui s’appelait alors Br. Nealu) et de Swami Purnamitmananda (connu sous le nom de Br. Sreekumar) :
Swami Paramatmananda : Fin novembre 1982, nous étions un petit groupe à accompagner Amma à Tiruvannamalai pour un pèlerinage de 10 jours. C’était la première fois qu’Amma quittait son village aussi longtemps, et c’était aussi la première fois, depuis leurs débuts en 1975, que les Krishna et les Devi Bhavas (cérémonies traditionnelles) n’auraient pas lieu. Nous prîmes le train un lundi matin après le darshan (bénédiction d’Amma sous forme d’étreinte) du dimanche soir pour arriver le lendemain. Nous étions 40 ou 50 et nous avons tous logé dans les deux maisons que j’avais construites quand je vivais à Tiruvannamalai. En journée, beaucoup de dévots résidant à dans l’ashram de Ramana Maharshi et aux environs venaient pour le darshan qu’Amma donnait dans la maison. Le soir, Amma chantait des chants dévotionnels à l’ashram, devant la tombe de Ramana Maharshi.
Le lendemain de notre arrivée, un renonçant nommé Swami Kunju vint voir Amma. Il était originaire du Kerala et disciple du célèbre saint Narayana, qui avait vécu au début du siècle. Narayana l’avait envoyé à Tiruvannamalai quand il était jeune et avait confié son éducation spirituelle à Ramana Maharshi. À l’époque de notre venue, il était déjà octogénaire mais Amma le traitait comme un bambin de cinq ans et il s’en amusait comme un enfant le ferait avec sa propre mère. Quand il s’asseyait en méditation, Amma plaçait sa main sur sa tête chauve et chantonnait en tapotant son crâne du bout des doigts. L’un de mes amis m’a raconté que quand je suis parti de Tiruvannamalai pour rejoindre Amma au début des années 80, Swami Kunju avait déclaré : « Nealu n’aurait jamais quitté cet endroit si Amma n’avait pas représenté la Parashakti (l’Énergie universelle) en personne ». Et on pouvait voir à son expression qu’il considérait vraiment Amma comme l’incarnation des qualités de la Mère divine.
Un beau jour, Amma sortit en trombe – toute seule – de notre demeure. Il s’agissait évidemment d’une fuite, il était clair qu’elle ne voulait pas qu’on la suive ; j’étais le seul à l’avoir vue sortir. Je pensais qu’elle pourrait très bien se perdre. Je la suivis de loin pendant qu’elle faisait le tour de la montagne Arunachala à pied, de toute évidence en état d’exaltation. Me voyant sortir en courant, tous les autres m’emboîtèrent le pas. Bientôt ils me dépassèrent tous et rejoignirent Amma qui marchait alors à très vive allure. Peu à peu, elle disparut dans le lointain, me laissant loin derrière. Voici comment Sreekumar (le futur Swami Purnamritananda) me fit le récit de ce qui s’est alors passé.
Swami Purnamritananda : Quelqu’un est arrivé en courant : « Amma a disparu. On ne la trouve nulle part ! » Aussitôt, nous avons loué une charrette à cheval et nous sommes partis en direction d’Arunachala, cherchant intensément Amma. La veille, pendant que nous gravissions la montagne avec elle, nous avions vu de nombreuses grottes de part et d’autre du sentier. Amma y pénétrait parfois pour méditer et ne consentait à en sortir qu’après de longues sollicitations. Pendant la descente, Amma avait dit : « Je n’ai pas envie de redescendre, mais quand je pense à vous, je me retiens. » Nous avions donc deviné qu’Amma pourrait être assise dans l’une de ses grottes, mais comment la trouver parmi les innombrables grottes de cette vaste montagne ? Nous étions tous inquiets.
La charrette finit par arriver au pied de la montagne. Au bout de quelques kilomètres, nous aperçûmes enfin la silhouette d’Amma, qui marchait au loin sur la route. En arrivant presque à sa hauteur, nous descendîmes de la charrette. C’était merveilleux de voir Amma. Elle titubait en avançant, comme enivrée. Elle vibrait de tout son corps, et ses mains formaient un geste sacré. Elle avait les yeux mi-clos, le visage illuminé par un sourire bienheureux. Nous la suivîmes et demandâmes au conducteur de la charrette de rester derrière nous. Nous nous mîmes à réciter des formules sacrées védiques et à chanter des chants à tue-tête. Les collines résonnaient de nos psalmodies. La béatitude irradiée par Amma et la joie de chanter et ont offert à chacun d’entre nous la bénédiction de vivre une expérience sublime.
Nous la suivions depuis un certain temps quand Amma se retourna pour nous adresser un regard plein d’un amour indescriptible, habité de tant de compassion et de force ! Lentement Amma revint à nos côtés et très vite, elle se mit à rire et à nous parler affectueusement. Un peu fatiguée par la longue marche, elle s’assit quelques minutes sous un arbre au bord de la route. Refusant, malgré nos suggestions, de monter dans la charrette elle ne tarda pas à se lever pour se remettre en marche. C’est ainsi que nous fîmes tous à pied les treize kilomètres du tour de la montagne.
Vers la fin de la circumambulation, au bord de la route, nous vîmes un charmeur de serpents qui jouait de la flûte. Amma alla s’asseoir devant lui, regardant avec grand intérêt le serpent danser au son de la flûte. À la manière d’un petit enfant, Amma demanda : « Pourquoi les serpents n’ont-ils ni mains ni pieds ? » Sa question innocente nous fit tous rire. Elle donna elle-même la réponse : « Dans leurs vies antérieures, ils n’ont peut-être pas utilisé leurs mains et leurs jambes à bon escient. Gardez à l’esprit qu’une telle incarnation guette quiconque ne fait pas bon usage de ce que Dieu lui a donné. »
Swami Paratmananda : Notre visite coïncidait avec la fête annuelle des lumières, célébrée par des centaines de milliers de personnes venues de toute l’Inde du sud. Un feu sacré avait été allumé au sommet de la montagne Arunachala pour représenter la lumière de l’illumination spirituelle embrasant les ténèbres de l’ignorance sans fin.
Un matin, nous allâmes tous en ville voir la fête des chars. Des représentations de divinités locales étaient placées dans un énorme char en bois, magnifiquement sculpté, de plus de trente mètres de haut et tiré à la corde par des gens défilant en procession dans les rues. C’était un joyeux spectacle. Amma se tenait sur le balcon d’une des maisons pour bien voir le char, quand un être saint nommé Ramsurakumar vint la voir. Ancien disciple du célèbre Swami Ramdas de Kanhangad, dans le nord du Kerala, il était tenu en haute estime à Tiruvannamalai. Il était en haillons, avec un éventail à la main et sa longue barbe flottait au vent. En présence d’Amma, il devint comme un petit enfant. Cela permit aux dévots locaux d’ouvrir les yeux et de comprendre la vraie nature d’Amma. Après une dizaine de jours bénis passés à Tiruvannamalai, nous retournâmes tous à l’ashram.