Amma a choisi quelques mantras de paix que ses disciples récitent quotidiennement. L’un de ces mantras est : Om lokah samastah sukhino bhavantu. Bien que ce mantra n’apparaisse dans aucun des Veda sakhas (branches védiques) existants, il est une expression de l’esprit universel que nous y trouvons1. Voyons dans quel contexte il apparaît et quel sens il revêt.

Voici le vers complet :

svasti prajabhyah: pari-palayantham
nyayeana margena mahim maheesah:
go-brahmanebhya: shubamasthu nityam
lokah: samasthah: sukhino bhavanthu

Et sa traduction :

Que le bien-être des gens soit assuré, que les rois gouvernent la terre dans la rectitude ;
Que le bétail et les précepteurs de la culture et de la sagesse connaissent un bien-être éternel
Que tous les êtres de tous les mondes deviennent heureux ;
Que la paix, la paix et la paix règnent partout !

Le vers (sloka) est une invocation pour l’harmonie et les bénédictions pour la création toute entière. Dans les temps anciens, la structure sociale et la forme de gouvernement différaient des nôtres à bien des égards, c’est pourquoi nous ne devons pas nous attacher au sens littéral de ce vers, mais à son essence.

Pour que la paix et l’harmonie règnent, les rois – c’est-à-dire les hommes politiques et les dirigeants – doivent être justes avec leurs sujets et gouverner selon les principes du dharma (devoir moral). Malheureusement, nous constatons que c’est rarement le cas dans notre monde contemporain où le pouvoir et l’argent semblent être les principales motivations des dirigeants. L’idéal reste malgré tout intact et comme les enseignements d’Amma influencent personnellement d’innombrables politiciens dans le monde entier, il se pourrait bien que la lumière demeure quand même au bout du tunnel.

Est brahmane (caste des prêtres) celui qui a réalisé son unité avec Brahman, l’Absolu, ou celui qui consacre sa vie à la quête de cette réalisation. Ces personnes désintéressées sont les penseurs éclairés qui apportent à la société une juste compréhension de la vie. Ils donnent des conseils dans tous les domaines de la société, y compris aux dirigeants politiques. Le brahmane peut également être un intellectuel brillant qui met bénévolement ses talents au service de la société. Ainsi, pour une société stable et brillante, il est essentiel que ces brahmanes soient justes. De toute évidence le sage qui a énoncé ce mantra ne consacre en rien le caractère héréditaire de la « brahmanitude » telle qu’il existe de nos jours.

L’histoire regorge d’exemples qui démontrent que la brahmanitude est une qualité intérieure et non pas un privilège de naissance. Il suffit de se rappeler le grand sage Veda Vyasa, également connu sous le nom de Krishna Dvaipayana parce qu’il avait la peau sombre et qu’il était né sur une île. Sa mère vivait de la pêche, ce qui ne l’empêcha pas d’être l’un des plus grands esprits de tous les temps, universellement reconnu comme un grand sage. Il a codifié les Védas et composé des œuvres originales célèbres dans le monde entier pour leur subtil contenu spirituel, parmi lesquelles des œuvres populaires comme le Mahabharata et le Srimad Bhagavatam, mais aussi des traités d’une grande profondeur sur la réalité ultime comme les Brahma Sutras. En dépit de ses origines modestes, Veda Vyasa est l’un des plus vénérés parmi la pléthore de géants spirituels de l’Inde.

Amma est née dans une communauté de pêcheurs. Elle n’a fait que quatre années d’école primaire et ne parle que sa langue maternelle. Ce qui est le plus frappant c’est qu’elle n’a jamais étudié les Écritures. Pourtant, des paroles de sagesse sortent continuellement de sa bouche, pour énoncer les vérités les plus abstraites de façon simple et compréhensible pour la plupart des gens. Qui pourrait alors nier la brahmanitude d’Amma ? Elle partage au monde sa sagesse, s’exprime devant de larges auditoires partout dans le monde entier, même aux Nations Unies.

On peut se demander ce que vient faire le bétail dans cette prière : « Qu’ai-je donc à voir avec le bétail, moi, un citadin moderne ? Ne devrais-je pas plutôt prier pour que ma BMW reste en bon état ? » Ne prenons pas le mantra au pied de la lettre. Les anciens n’utilisaient pas le vocabulaire de manière aussi univoque que nous. La profonde contemplation du sens de tel ou tel mantra nous révélera probablement de plus en plus de niveaux de signification. « Bétail » est synonyme de nourriture et d’abondance en général. Dans l’antiquité, le bétail servait en quelque sorte de compte bancaire. On mesurait la richesse de quelqu’un au nombre de têtes de bétail qu’il possédait. De plus, une grande partie de la société se nourrissait principalement de lait. Lors des cérémonies rituelles, les offrandes offertes au feu lors des sacrifices se composaient majoritairement de lait ou de produits laitiers tels que le ghee (beurre clarifié). Dans de nombreux textes anciens, la vache est symbole d’abondance. On peut dire de la vache qu’elle est l’équivalent du « pain quotidien ».

Dans la société actuelle, prise au pied de la lettre, ce genre de prière peut paraître particulièrement ironique, car partout dans le monde, les élevages de bétail sont devenus des foyers de maladies, telle l’épidémie de vache folle. Lorsque le bétail et le reste du règne animal sont maltraités, c’est du même coup l’humanité qui en souffre. Cette prière souligne donc l’harmonie entre les êtres humains et le reste de la création. En fait, on peut considérer la vache comme étant représentative de l’ensemble du règne animal. En sanskrit bétail se dit « go », et ce terme est un symbole védique des plus profonds chargé de nombreuses significations spirituelles subtiles, dont « terre » et « mère », et à ce titre, le vers pourrait également être une prière pour le bien-être de la Terre. Ne craignons donc pas que Dieu réponde à notre prière en envoyant un troupeau de bétail charger dans notre salon.

L’aspect le plus important du mantra c’est que le sage ne prie pas seulement pour son clan ou sa nation mais pour le monde entier ou, plus précisément, pour tous les mondes2. C’est, comme nous le dit et nous le montre Amma, la manière correcte de prier. Au lieu de demander quelque chose pour nous-mêmes, Amma nous conseille de prier pour toute la création. En priant pour le bien-être de tous les êtres sensibles – tous les êtres humains, tous les animaux, toutes les plantes – notre esprit se fait plus vaste. Grâce à cette prière, nous pouvons lentement dépasser les concepts égocentriques et limités de soi pour nous identifier à la création toute entière, en reconnaissant que sa vraie nature n’est autre que la nôtre. Et comme nous faisons nous aussi partie du monde, nous profitons nous aussi des bénédictions de la prière.

Toute la vie d’Amma est un effort constant pour apporter le bonheur au plus grand nombre d’êtres possible. Sa vie est véritablement cette prière en action. Elle nous montre la bonne attitude à adopter pour prier, mais aussi pour nous permettre de vivre les Védas.

La prochaine fois que nous réciterons Om lokah samastah sukhino bhavantu, essayons de ressentir une profonde compassion à l’égard de tous les êtres vivants, et prenons la résolution de vivre dans cet esprit de désintéressement.

Que règnent la paix et l’harmonie.
1 Beaucoup des 1008 branches originales des Védas ont été perdues. Il est possible que ce mantra se trouvait dans l’une de ces branches perdues. Si ce n’est pas le cas, il vient sûrement d’un Maître Réalisé ou de son entourage.

2 Selon la tradition, il y a 14 mondes, ou plans d’existence – six figurent au-dessus de nous et sept figurent au-dessous. Bhuh est le plan terrestre. Au-dessus, par ordre croissant, se trouvent Bhuvah, Svah, Mahar, Jana, Tapa et Satya (également connu sous le nom de Brahma-loka) ; en dessous, par ordre décroissant, se trouvent Atala, Vitala, Satala, Rasaatala, Talaatala, Mahaatala et Patala. Ceux-ci sont généralement divisées en trois zones : le ciel (svarga), la terre (prithvi) et le monde souterrain (patala). C’est pourquoi on trouve souvent dans les Écritures des expressions telles que « le seigneur des trois mondes ». Si dire qu’il y a 14 mondes en nous convient pas, on peut considérer que la référence à des mondes multiples fait allusion aux perspectives infinies de notre monde, telles qu’elles sont perçues par tous les animaux, les plantes et les humains.