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Toutes ces années, vous avez tenté de rapprocher des dévots de Dieu. Qui a besoin de Dieu ? Dieu n’est-il qu’une béquille pour ceux qui n’ont pas un mental fort ?
« Tout le monde a besoin de Dieu. Certains s’en rendent compte, d’autres pas, mais le chemin qui mène à Dieu est réservé à des gens doués d’une force mentale intense. Car le contrôle du mental est un aspect fondamental de la spiritualité. Il est impossible pour les esprits plus faibles de contrôler ou de sublimer leurs désirs, pensées et émotions. Seuls les gens courageux y parviennent. Il faut répondre à cette question par une autre question. Est-ce que ceux qui prétendent que Dieu n’est qu’une béquille pour les esprits faibles sont forts mentalement ? De quel droit affirment-ils cela ? En fait, ces personnes sont elles-mêmes esclaves de leurs faiblesses mentales, de leurs pensées et de leurs désirs. Elles vacillent à la moindre difficulté. On ne peut donc pas vraiment dire qu’elles sont fortes. »
C’est donc leur ego qui parle ?
« Non, pas nécessairement ! Ceux qui se prétendent forts mentalement donnent l’impression d’avoir de la force mentale, mais l’histoire est pleine de cette catégorie de gens qui finissent par chercher refuge dans la force divine. Il ne s’agit donc pas forcément de l’ego ; c’est juste qu’ils ont une fausse idée de Dieu. Notre monde est la manifestation visible de Dieu ; l’univers est Dieu. Tout ce que nous voyons dans cette création est une manifestation de la conscience de Dieu. La création et le créateur ne font pas deux ; ils ne font qu’un. Le mental a besoin de s’enraciner fermement dans cette conscience, et cela doit devenir notre image du monde. Alors nous pourrons réaliser cette vérité éternelle : Dieu n’est ni lointain ni extérieur – bien au contraire – « Je suis Dieu ». Pour moi, c’est cela la foi véritable, et non pas chercher à satisfaire ses désirs mesquins en psalmodiant les noms de Dieu, en faisant des pujas (rituels religieux) et en allant au temple. »
Alors, c’est leur manque de foi qui leur sert de béquille ?
« En fait, tout est un acte de foi. Même pour faire un pas en avant, nous devons avoir la foi. Dormir, s’asseoir, marcher, aller et venir, tout repose sur la foi. Il faut de la force pour faire face au monde. Ceux qui savent nager dans l’océan aiment s’amuser dans les vagues alors que d’autres risquent de s’y noyer. Une approche spirituelle donne aux gens la force de faire face aux situations difficiles. C’est pour cela que l’on dit que la vie de Krishna n’a été qu’un long éclat de rire. Il avait une attitude d’acceptation. Il savait ce qui allait arriver et il le regardait se produire, simplement, avec l’attitude du témoin. »
Est-ce que les gens les plus forts se tournent vers le rationalisme ou l’athéisme ?
« Pas nécessairement. Le véritable rationalisme devrait nous aider à comprendre la vraie nature des objets. Avec cette approche, il est facile d’accepter qu’il y a une puissance au-delà de ce corps et de ce mental incroyablement limités. D’après la science moderne, tous les atomes de l’univers sont connectés entre eux. Ne pas être capable de l’accepter vient de l’ego. L’ego est une force destructrice qui ne peut que faire du tort au monde.
La vie est un mélange de logique et de mystère, qui tient peut-être plus du mystère que de la logique. Ce mystère, c’est Dieu. En fait ce que la plupart des gens prennent pour de la force mentale n’a rien à voir avec la force intérieure. Ceux qui ont une vraie force mentale font confiance au Soi intérieur, à l’infini puissance du Soi. La soi-disant force mentale de ceux qui ne croient qu’en leur esprit personnel ne résiste pas longtemps. À un moment donné, ces gens s’effondreront alors que ceux qui sont convaincus qu’ils font partie de la Puissance infinie, qu’ils sont cette puissance, ne s’effondrent jamais. Ce sont des personnes heureuses et satisfaites en toutes circonstances. C’est comme faire confiance à l’électricité en général et pas seulement à une ampoule et à la petite lumière qu’elle émet. »
Comment Amma conduit-elle les personnes à la conscience de Dieu ?
« J’éveille la conscience en eux, mais il y a une manière spéciale de s’y prendre. Quand on n’est jamais allé dans un endroit, c’est plus facile si un résident nous y guide. Quand on essaie d’apprendre une langue étrangère, c’est plus facile d’être instruit par quelqu’un dont c’est la langue maternelle. C’est ce genre de soutien que je leur apporte – en jouant le rôle de guide spirituel. Pour germer et grandir, la graine a besoin d’un milieu climatique adéquat. La graine de pommier ne germera pas dans les pays chauds. Les palmiers dattiers ne germent pas dans les pays froids. Pour la croissance spirituelle des chercheurs, le climat favorable, c’est être en présence du maître spirituel. C’est comme une chanson dont on ne se rappelle que la première ligne. Le maître spirituel s’empare de la première ligne et chante toute la chanson. C’est comme donner de l’eau purifiée à ceux qui sont habitués à boire de l’eau impure.
Dieu n’est pas distinct de vous. Il est à l’intérieur de chaque individu. Il est la conscience et la force vitale en chacun. Les vagues de l’océan, tout comme l’océan lui-même, ne sont faites que d’eau. Dieu n’est autre que l’infini, et les êtres individuels des parcelles de cet infini. Si vous allez dans une bijouterie, vous y verrez peut-être des boucles d’oreilles, des colliers, des bagues et des bracelets de diverses tailles et formes. Et si on vous demande : « mais où est l’or ? », vous répondrez : « ici, tout est de l’or. Chaque bijou que vous voyez est en or. » Pareillement, la puissance infinie qui se manifeste en Lui, en vous, en moi et dans cet univers d’êtres sensibles et insensibles, de toutes les formes, c’est Dieu. Alors si vous demandez : « où est Dieu ? » il n’y aura pour toute réponse que : « ici, tout est Dieu. Tout ce que vous voyez autour de vous est Dieu. Il n’y a rien hormis Dieu. »
L’idée que je me fais de Dieu se compare à la graine d’un figuier. C’est à partir de la graine que se forme tout l’arbre : le tronc, les feuilles, les racines, la fleur et le fruit. La graine ne ressemble pas au tronc. Le tronc ne ressemble pas à la fleur. La fleur ne ressemble pas au fruit. Le fruit ne ressemble pas aux feuilles. Chaque feuille même est différente. Pourtant l’essence de la graine existe en chacun d’eux. De la même façon, Dieu est la conscience qui sature et remplit à ras bord toute chose.
Certains diront : « Dans ce cas, où est la conscience dans un cadavre ? » Si un ventilateur arrête de fonctionner, cela ne veut pas dire que l’électricité a disparu. L’électricité existe encore ; c’est seulement l’appareil qui a cessé de fonctionner. De la même manière, la pure Conscience n’a ni fin ni commencement. Elle est toujours présente.
De quelle nature est votre communion avec Dieu ?
Questions, réponses, conversation, discussion : tout cela existe entre deux individus. Mais Dieu n’est pas un individu, une personnalité, ni un particulier assis sur un trône en or au-delà du ciel, et qui rend la justice. Dieu est pure Conscience. L’univers infini est Dieu. Une fois que l’on a compris que l’individu et l’univers infini ne font qu’un, alors il n’y a plus de place pour la conversation, ni pour les questions-réponses. Il ne reste que l’unité. C’est comme comprendre que la vérité ce n’est pas les nuages mais le ciel, ou que l’océan et les vagues ne font qu’un. Le Soi n’est pas comme une batterie qu’il faut recharger ; c’est la source même de l’énergie, l’électricité même.
Des millions de gens viennent à Amma. Pourquoi viennent-ils ?
Même si quelqu’un a tout le reste, les deux choses qu’il désire le plus sont l’amour et la paix. Les gens le trouvent peut-être sur terre. L’homme naît, vit et n’agit que pour atteindre cet amour et ce bonheur, mais il y a pénurie d’amour en ce monde. Ce manque d’amour est la pire cause de pauvreté du monde, elle est responsable de 90 % des problèmes que nous rencontrons.
Les gens disent souvent que lorsqu’ils viennent vous voir, vous les accueillez en les étreignant très fort. Quelle est cette expérience ?
En chacun, jeune ou vieux, peu importe la profession, il y a un petit cœur d’enfant qui a besoin d’amour innocent. En présence d’Amma, cette innocence s’éveille. C’est peut-être ce qui fait pleurer les gens. En comparaison des mahatmas (grandes âmes) qui sont comme des transformateurs, des réserves d’énergie, les gens ordinaires sont des réverbères ou même des ampoules. Le mahatma contrôle son mental. Grâce à ses pratiques spirituelles, il a accumulé de l’énergie en lui. Alors, quand une personne ordinaire s’approche d’un mahatma, elle profite de son regard et de son contact. Au bout du compte, c’est aux dévots de dire ce que ça leur fait. Je souhaite seulement que mes mains puissent étreindre et consoler ceux qui souffrent jusqu’à mon dernier souffle. Si les dévots aiment le christianisme, je leur donne le mantra du Christ, ou un mantra musulman s’ils aiment l’Islam. Le Sanatana dharma (« vérité éternelle », vrai nom de l’hindouisme) est amour.
Est-ce qu’ils voient une figure maternelle en Amma ?
C’est la raison pour laquelle ils m’appellent Amma (mère). Ils voient aussi une figure de maître spirituel. Même si on me voit ainsi, cet amour maternel existe également bel et bien en chacun. Je sers de modèle.
Même ceux qui sont plus vieux que vous vous appellent Amma… Comment est-ce arrivé ?
Enfant, j’allais dans toutes les maisons du village. À l’époque, même ceux qui n’avaient que dix sous de terre donnaient du terrain à ceux qui n’en avaient pas pour construire une hutte. J’avais l’habitude, chaque jour, de faire le tour de 60 maisons pour aller chercher des épluchures de tapioca et des restes de bouillie de riz pour nourrir les vaches et les chèvres. Je voyais beaucoup de gens qui souffraient. Même si j’arrivais chez eux à 17 heures, je voyais des gens qui n’avaient rien mangé de la journée. Je leur donnais tout ce que je pouvais. En voyant leurs difficultés, je me demandais pourquoi des gens souffraient quand d’autres avaient la vie facile.
Quel âge aviez-vous ?
Environ huit ans. Ici les enfants travaillaient dur, en allant par exemple, chercher de l’eau. Je voyais des personnes âgées maltraitées par leurs familles. Je les lavais et leur donnais à manger. Il y en a qui disent que si les gens souffrent, c’est leur karma. Je me suis demandé : « Si quelqu’un tombe dans un fossé à cause de son destin karmique, alors quel est notre dharma (devoir) ? » J’ai entendu alors une voix intérieure me dire : « c’est ton dharma de les tirer de là et de les aider. » Ce questionnement à propos de la souffrance humaine était si intense qu’il s’est transformé en recherche personnelle : le désir de réaliser Dieu. Petit à petit les gens ont commencé à venir me raconter leurs ennuis et leurs malheurs. J’essuyais leurs larmes. Je leur donnais à manger, et même une ou deux fois, un bracelet de ma mère, et à mon retour à la maison, on me corrigeait. Les choses ont continué comme cela… Tout comme les médecins qui ne soignent pas seulement les hommes ou seulement les femmes, je ne fais pas de différence entre les hommes et les femmes. Si quelqu’un tombe par terre, allons-nous nous abstenir de le relever sous prétexte que c’est un homme ou que c’est une femme ? Je consolais les gens qui souffraient. Au lieu d’être une ligne de chemin de fer avec des rails inflexibles établis une fois pour toutes, je suis devenue une rivière fluide. Des gens de toutes sortes vont à la rivière. Certains vont s’y laver, certains y crachent, d’autres en boivent l’eau.
Quel est votre message ?
La compassion, mais pas celle qui se contente de mots. C’est cela qui doit changer dans notre façon de voir le monde. Quand nous sommes remplis à ras bord d’amour pour la création toute entière, pour les êtres sensibles ou insensibles, et que notre cœur déborde, l’action qui en découle est la véritable compassion. Si nous arrivons à faire attention aux autres et à éprouver de la compassion à leur égard, nous serons capables de résoudre de nombreux problèmes.
Comment intégrer la prière dans tout cela ?
Même à l’âge de cinq ans, je priais et je chantais pour Dieu. Si j’ai bonne mémoire, à l’âge de huit ou neuf ans, j’écrivais des chants dévotionnels et je les chantais sur des mélodies que je composais. En fait l’existence elle-même (chaque pensée, chaque regard, chaque relation) devrait devenir prière. Tel est le mental qu’il nous faut. Mais ne négligeons pas la tradition religieuse particulière dans laquelle chacun grandit. Ma mère biologique était au quotidien un exemple vivant de l’advaïta (philosophie du non-dualisme). La création et le créateur ne font pas deux. Elle nous le démontrait dans la vie de tous les jours. Quand nous avions des visiteurs, elle nous disait que nous devions leur laver les pieds et les faire entrer. Nous ne devions nous asseoir qu’après eux. On leur servait ce qui avait été cuisiné pour la journée, et ensuite elle calmait notre faim avec seulement de l’eau de riz et des restes de noix de coco, se souciant de savoir si les invités avaient mangé à leur faim. Elle leur donnait des habits neufs et propres alors que nous gardions nos vêtements sales. Elle les faisait dormir à l’intérieur, dans le lit, et pendant ce temps là, pour leur faire de la place, on nous demandait d’aller dormir dehors. Ma mère nous apprenait le respect de la terre en nous faisant toucher trois fois le sol du front et adresser une prière au soleil. Elle nous a appris à honorer la vache comme une mère et à vénérer les arbres ; avant d’abattre un arbre, nous devrions lui adresser une prière et lui demander pardon. C’est ainsi que nous a été inculqué le respect de tout ce qui nous entoure. Si nous piétinions un journal même vieux de dix ans et mis au rebut, nous devrions le toucher et porter les doigts au front parce que le journal est un symbole de connaissance.
Ces pratiques vous ont été transmises par tradition familiale ?
Ma mère avait coutume de les faire mais sa dévotion ne provenait pas d’une profonde connaissance spirituelle. Si nous nous écartions de ce qu’il fallait faire ou ne pas faire, elle nous grondait. Même si nous marchions dans de la bouse de vache, nous devions la toucher en signe de respect, autrement elle nous grondait. C’est d’elle que j’ai appris à tout respecter dans la nature. Comme tout est une manifestation de la conscience divine, elle ne me laissait pas cueillir une seule feuille en trop quand nous devions nous en servir comme de cuillères. Tant qu’elles sont sur l’arbre, les feuilles purifient l’atmosphère. Elle nous a appris à ne pas uriner dans la rivière, même s’il est naturel d’en ressentir le besoin en rentrant dans de l’eau froide. On nous disait que la rivière était Devi (la Mère divine), alors l’envie passait, comme un interrupteur mis sur arrêt. Il n’y a rien de mal à croire cela, car c’est bon non pas pour la rivière, mais pour nous – nous qui nous y baignons. Aujourd’hui, on dit que c’est la « protection de l’environnement », mais autrefois ça se faisait aussi. Je peux dire que ma mère et la Nature ont été mes maîtres spirituels.
Les plus grands conflits ont été menés au nom de Dieu. À ces moments-là, Dieu est-il devenu néfaste pour les gens ?
Non. Le mental a toujours deux faces : l’amour et la haine. Il nous appartient de décider laquelle des deux nous voulons éveiller. En utilisant Dieu comme support, nombreux sont ceux qui ont éveillé l’amour en eux, et tout aussi nombreux sont ceux qui ont éveillé la haine. Dieu n’est pas source de conflit ; c’est l’ego humain qui s’exprime : « ma religion et moi sommes les meilleurs, et tous les autres devraient l’accepter ! » Dieu est comme le ciel, sans divisions, ni frontières, ni limites, ni préférences, ni dégoûts. C’est le mental des hommes qui crée ce genre de divisions, alors comment Dieu pourrait-il être néfaste ? La haine ne vient pas de Dieu. Dieu est l’incarnation de l’amour. Dieu n’indique que le bon chemin. Si les gens connaissaient vraiment Dieu, ils sauraient que Dieu est celui qui aime, accepte et sert tout le monde, au-delà des barrières de castes, religions et couleurs.
Est-ce que les hommes se battraient moins s’il n’y avait pas de Dieu ?
Certainement pas. La religion et Dieu montrent la voie qui mène à la fin des conflits. Ceux qui sont aveuglés par l’ignorance se servent de Dieu et de la religion comme d’outils pour créer des conflits ; les gens trouvent des milliers de raisons pour se battre. Faute de quoi les pays se battront bientôt pour savoir à qui appartiennent la lune et Mars. L’ego humain est devenu comme un cheval sans bride. À moins que les hommes gagnent en maturité, ces conflits ne cesseront pas.
Les conversions religieuses posent un gros problème. L’idée règne que « ma religion est meilleure que la tienne ». Il y a eu beaucoup de conversions au Kérala. Que pensez-vous des conversions religieuses ?
La religion est la voie vers laquelle les humains peuvent se tourner pour trouver réconfort et secours, paix et bonheur, quand le mental est fatigué de la précipitation et des difficultés de la vie. Certaines croyances et coutumes se gravent dans le mental des gens à cause de ce qu’ils voient, entendent et observent depuis la petite enfance. Enracinés dans ces croyances, les gens devraient être capables d’avancer dans la voie vers laquelle leur conscience les guide. Si vous prenez la peine de vous y intéresser, vous verrez qu’il y a du bon dans toutes les religions. Je ne vois rien à redire à quelqu’un qui décide de se convertir à une autre religion après avoir compris tous les aspects ; il a cette liberté. Mais le convertir de force et semer la terreur sont des erreurs. L’idée selon laquelle on fera plaisir à Dieu en poussant quelqu’un à se convertir est fausse, elle aussi. Convertir de force revient à dire : « ma mère est belle et pure ; ta mère est laide et prostituée ; tu n’atteindras la libération ou tu ne réaliseras Dieu que si tu te mets du côté de ma mère, etc. » Impossible d’accepter que ce genre de conversion puisse faire plaisir à Dieu. Cette approche ne peut qu’aboutir au conflit.
De plus, des adeptes de toutes les religions tombent malades ou subissent des pertes en affaires. Il n’est pas juste de changer de religion pour ce genre de motifs. La vraie voie qui mène à Dieu, c’est celle qui consiste à aimer et servir l’humanité en dépassant les religions, les castes et autres différences. Le miel garde son goût sucré partout où on en mange. Les valeurs universelles telles que l’amour, la paix et la compassion sont l’essence de toutes les religions. Les maîtres spirituels et les lettrés de toutes les religions devraient avant tout incarner ces valeurs dans leur façon de vivre. Leurs disciples en viendraient naturellement à faire comme eux. Essayez de ne pas attacher d’importance aux phrases des Écritures mal interprétées par des personnes qui se prétendent intelligentes.
Convertissez-vous des gens qui viennent à vous de divers endroits du monde ?
Il ne s’agit pas d’une conversion religieuse mais d’une transformation mentale. Je n’ai jamais changé la religion des gens ; ils s’éveillent à eux-mêmes. La religion hindoue, c’est véritablement le Sanatana dharma, qui énonce des vérités éternelles telles que aham brahmasmi (« Je suis Brahman ») et tat tvam asi (« Tu es cela »). L’objectif c’est de se réaliser soi-même. Aujourd’hui on voit des gens jeter le fruit et se contenter d’en manger la pelure ; ils se concentrent sur les aspects superficiels de leur religion sans aller jusqu’à son essence. Les gens qui viennent me voir sont déterminés à manger le fruit. S’ils aiment le christianisme, je leur donne le mantra du Christ. S’ils aiment l’islam, je leur donne un mantra musulman, et ainsi de suite. Le Sanatana dharma, c’est l’amour. À l’étranger, la plupart des gens demandent des mantras basés sur l’« amour » et la « lumière » ; je leur donne ce qu’ils demandent. Je ne crois pas au changement forcé. Ils arrivent avec des connaissances et des informations en matière de spiritualité, à la recherche d’un modèle à imiter, de quelqu’un qui traduit ces principes en action, qui incarne les qualités divines. Ils connaissent l’unité de l’énergie suprême. Ils adhèrent à la philosophie de l’advaïta, qui est au-delà des différences extérieures. Mais dans le sans forme, il y a la forme et dans la forme, il y a le sans forme. Dieu avec et sans attributs tangibles. Il faut tout assimiler à son niveau.
Ce ne serait pas juste de ma part de commenter les croyances, les coutumes et les institutions des autres religions. Indépendamment de leurs dirigeants, n’est-ce pas une bonne chose d’avoir des institutions qui font progresser la nation et proposent une bonne culture et un bon système de valeurs ? Où est le mal quand des gens conscients du dharma (conduite vertueuse) gèrent une institution et contribuent à former une génération de gens conscients du dharma ? Cela ne pose un problème que lorsque les institutions essaient de détourner les valeurs universelles ou de protéger les intérêts égoïstes d’une partie de la société. Le système des écoles traditionnelles n’était-il pas bien répandu en Inde ? C’était la maison du maître spirituel qui faisait office d’école, et ce dernier travaillait de façon totalement désintéressée, sans aucune attente. C’est tout à fait différent de ce que nous voyons aujourd’hui. Ce qui est important, c’est la vision qui sous-tend l’institution. Il faut qu’elle soit au service de la croissance et du progrès de la société. Bien sûr, il est naturel que les choses évoluent dans tous les domaines, quand les temps changent. Quand on fait des études universitaires pour essayer de devenir médecin, avocat ou ingénieur, c’est « l’éducation pour apprendre à gagner sa vie ». Mais « l’éducation pour apprendre à vivre », exige une compréhension des principes essentiels de la spiritualité, pour une compréhension plus profonde du monde, de notre mental et de nos émotions. La spiritualité, c’est la capacité de travailler de façon désintéressée dans le monde. Avec cette approche, il n’y a pas de différence entre spiritualité et vie matérielle.
Cherchez-vous à intervenir en politique ? Êtes-vous proche du Sangh Parivar (famille de plusieurs mouvements nationalistes hindous) ou du BJP (grand parti de la droite nationaliste hindoue) ?
La politique n’est ni ma voie ni mon dharma. Mais les gens de tous partis politiques et de tous milieux viennent me voir – pas seulement des membres du BJP – des leaders du Congrès (2ème grand parti politique indien), des communistes, des athées et des rationalistes, des patrons et des ouvriers, tous viennent me voir. Mais personne ne m’a jamais encore demandé si je suis proche du Congrès (parti de centre gauche) ou si j’ai des liens avec les communistes. Je ne comprends pas pourquoi les journalistes demandent toujours si je suis connectée au RSS (organisation nationaliste hindoue de droite) ou au BJP (parti nationaliste de droite). Ma voie, c’est d’accepter tout le monde. Je ne peux donc pas instaurer ce genre de frontières, où que ce soit. Il me faut couler comme une rivière et c’est ce que je fais.
Vous dirigez de nombreuses institutions éducatives. Aujourd’hui n’a t-on pas en Inde un système éducatif qui rend nos enfants étrangers à leur pays, leur époque et leur culture, et surtout à leur langue maternelle? Vous avez décrit beaucoup de traditions rurales de votre enfance auxquelles les enfants d’aujourd’hui n’arrivent pas à s’identifier, même ici dans la région de Kollam.
Tout système éducatif qui n’accorde pas d’importance à la langue maternelle ni aux principes spirituels revient à séparer la mère et l’enfant. Ce genre d’éducation engendrera à coup sûr de nombreuses mauvaises habitudes et créera de sérieux handicaps pour nos élèves. Nos jeunes sont très intelligents et talentueux, mais ils manquent vraiment de maturité émotionnelle. Ils sont attirés par des futilités. Ils ne témoignent ni amour ni gratitude ni respect à leurs parents, enseignants ou aînés. Le mépris et l’arrogance les caractérisent. Nos jeunes sont sur une pente dangereuse. C’est avec la mère, en tant que modèle, que devrait commencer l’éducation. L’exemple donné par la mère se reflète chez les enfants. Quand les parents vont travailler tous les deux, il n’y a personne à la maison pour servir de modèle. De nos jours, la grand-mère n’est plus là pour jouer ce rôle. On envoie les enfants en pension, ils sont en rivalité entre eux, c’est à qui sera le mieux habillé, etc. Les enfants des milieux économiques défavorisés se sentent inférieurs et font pression sur leurs parents pour qu’ils leur achètent des choses que ces derniers ne peuvent pas leur payer. Alors, les enfants en viennent à voler et à utiliser d’autres moyens pour satisfaire leurs désirs. On ne donne pas de valeurs ni de modèles aux enfants dans ce genre de familles.
Pourquoi accordez-vous autant d’importance à l’éducation ?
Je m’occupe aussi d’autres domaines. Prenez l’accès à l’autonomie des femmes par exemple. Grâce à notre programme AmritaSREE (pour l’autonomie, l’éducation et l’emploi des femmes), 200.000 femmes ont accédé à l’autonomie, soit en ayant accès à la formation professionnelle, soit en étant guidées pour obtenir des prêts ou en recevant des vêtements. Il y a aussi la construction de maisons pour les sans-abris, le soin des personnes âgées, l’éducation des enfants différents, l’accès à l’eau potable, l’adoption de villages en milieu rural, l’installation d’éclairage solaire dans nos villages adoptés, l’adduction d’eau et les réseaux de distribution d’eau, l’enseignement en milieu rural par le biais de tablettes, la sensibilisation au suivi de grossesse et aux soins péri-nataux, les campagnes de soins médicaux, le suivi médical. Nous enseignons les soins médicaux de base, la propreté et l’hygiène à la population rurale. Ici dans mon village, autrefois, même s’il y avait des toilettes à la maison, les enfants faisaient leurs besoins sur la plage. Moi aussi j’ai grandi avec cette habitude. Récemment un journaliste m’a demandé : « À quoi bon construire des toilettes pour ces gens-là ? Est-ce qu’ils vont réussir à changer leurs habitudes ? » J’ai répondu que j’étais la preuve vivante qu’ils peuvent changer. Nous avons appris aux femmes à construire des toilettes. Sans parler de centaines d’autres choses du même genre. L’éducation n’est qu’un domaine parmi les autres.
Est-ce que le célibat est important en matière de spiritualité ? Est-ce que les relations et la sexualité ne sont pas importantes pour l’épanouissement personnel ?
Dans tous les domaines et tous les milieux, il y a des disciplines et des codes de conduite à suivre obligatoirement. Tout le monde n’est-il pas tenu de suivre certaines règles ? La réalisation du Soi est un cheminement vers la liberté intérieure. La vie de famille n’empêche pas la vie spirituelle. Ceux qui ont des désirs mondains peuvent suivre un chemin spirituel tout en menant une vie de famille. Cependant, même sur cette voie, il faut progressivement contrôler le mental. Beaucoup de nos anciens sages avaient une famille. Le facteur le plus important sur la voie monastique est la retenue mentale. Le célibat fait partie de cette retenue. Il ne s’agit pas seulement de retenue des instincts sexuels. L’intention est d’éloigner mentalement le chercheur spirituel de tout ce qui pourrait mener à le distraire du but spirituel. Les gens qui souhaitent suivre un chemin spirituel exigeant devraient s’appliquer à ne pas s’attacher à des personnes du sexe opposé en n’étant pas trop proches d’eux physiquement. Une fois acquise la possibilité de surmonter tentations et faiblesses, alors ce genre de rapprochements et de rapports ne pose plus de problèmes.
Quelle sorte de gens acceptez-vous comme résidents de l’ashram ? Voyez-vous quelque chose de spécial chez les chercheurs spirituels potentiels ?
En ce qui me concerne, chaque personne est spéciale et possède en elle l’étincelle divine. La qualité primordiale du chercheur spirituel, c’est de désirer ardemment se connaître et servir autrui de façon désintéressée. Je ne choisis jamais personne ni n’oblige personne à rester à l’ashram. Il est impossible de forcer quiconque à suivre la voie d’une quête spirituelle. Il s’agit d’un appel intérieur.
Depuis le Vatican jusqu’en Afrique, partout dans le monde, il y a des prêtres et des nonnes catholiques kéralais, et aussi des prêtres anglicans. Maintenant des musulmans du Kérala vont en Syrie pour rejoindre l’État islamique. Pourtant, de Adi Shankara jusqu’à vous, on ne manque pas d’icônes spirituelles. Pourquoi la terre du Kérala est-elle si fertile spirituellement ?
L’Inde est le pays de la spiritualité. Pas seulement au Kérala, dans tous les recoins de l’Inde, il y a eu des maîtres spirituels. Mais il y a un point à souligner : Il n’y a pas de place pour le terrorisme dans la spiritualité ni de place pour la spiritualité dans le terrorisme.
Y a t-il eu un moment particulier dans votre enfance, un déclic qui vous a fait décider de devenir un guide spirituel ?
Je n’ai pas le sentiment qu’il y a eu un déclic particulier. Je suis maintenant la même qu’autrefois. Ce que je fais, je le fais depuis l’enfance. Il n’y a pas eu de déclic particulier. En voyant comment vivaient les gens les plus démunis, j’ai voulu comprendre la cause de la souffrance et trouver une solution pratique capable de les soulager. C’est tout.
Qu’est-ce que la méditation a de si spécial ?
Tout ce que vous voyez ici montre ce que la méditation a de spécial. Elle aide à acquérir la paix mentale. C’est la raison pour laquelle les gens qui la pratiquent peuvent faire autant de service désintéressé. La méditation embellit toutes leurs actions. La méditation c’est comme de l’or parfumé. Imaginez comme l’or parfumé serait précieux !
Quel est votre point de vue sur la politique ?
Les gens vont et viennent, mais je ne fais pas attention à ce genre de choses.
Je ne veux pas parler des politiques partisanes ; je parle seulement de votre approche en politique générale. Par exemple, un moine est devenu Premier ministre. Est-ce que les chefs religieux devraient devenir des hommes politiques ?
En réalité, si cette personne gouverne selon les valeurs du dharma, alors ça va. Si le moine est un être spirituel, il gouvernera sans discriminations raciales ni religieuses, son idéal sera d’aimer et de servir tout le monde. Autrefois, Rama et Krishna gouvernaient des royaumes selon le dharma. Janaka, le père de Sita, était une âme réalisée et un gouvernant. Ces personnes sont fermement enracinées dans le dharma. Au bout du compte, chacun est libre de décider qui il doit être et ce qu’il doit faire. Je ne m’intéresse pas du tout à la politique. Je donne de l’amour à tous ceux qui viennent ici et je les sers. La justice morale doit régner, tel est mon souhait. C’est tout. L’univers même est maintenu par le dharma. L’humanité l’a négligé et nous en voyons maintenant les conséquences.
Il y a eu deux polémiques dans l’ashram, celles au sujet de Gail Tredwell et de Satnam Singh. Qu’y a t-il de vrai dans ces allégations ?
Ces allégations sont complètement infondées. En ce qui concerne Satnam Singh, sa mort m’a profondément peinée. Quand je pense à ses parents et à ses proches, je me sens triste. Mais ici, personne ne lui a jamais rien fait. Un jour, pendant que je donnais le darshan, il a monté la rampe d’accès à la scène en courant, en hurlant des mantras. On le voit sur une vidéo, en sous-vêtements, en train de sauter sur la rampe. En le voyant se précipiter sur moi, certains résidents de l’ashram ont formé une chaîne autour de moi pour me protéger. Et puis la police l’a emmené. Les résidents de l’ashram ne lui ont jamais rien fait. Son propre frère l’a vu au poste de police et a déclaré à la presse et à la télé : « Il ne portait aucune marque sur le corps dans la prison. » Ce qui s’est passé ensuite nous n’en savons rien.
Quant à Gail Tredwell, elle a inventé une histoire basée sur quelque chose venant de son imagination. Quoiqu’il en soit, je ne ressens aucune colère envers elle. Je n’ai que de l’amour pour elle et je prie pour elle. Elle est tombée amoureuse de quelqu’un ; c’est pour cela qu’elle a quitté l’ashram. Autrement elle ne serait pas partie. Cela n’a pas marché et elle a épousé quelqu’un d’autre. Et elle l’a quitté aussi. Après tout cela, elle a écrit le livre. Mais je ne m’inquiète pas de ce genre de fausses allégations. Depuis ma jeunesse, j’entends ce genre de choses. En tant que femme, j’ai dû faire face à de nombreux problèmes pour suivre mon dharma. Dans le village, ceux qui, à l’époque, me jetaient des pierres, me couvrent maintenant de fleurs. Aucune figure spirituelle n’a jamais créé un ashram chez elle. En général, ces personnes se font bannir de l’endroit où elles sont nées. Mais au moins les habitants de mon village ont été plus gentils que cela ; ils ne m’ont pas chassée. Je suis née dans cette maison. La maison où m’a mère m’a mise au monde existe encore. Alors, pour avoir grandi ici, j’en ai entendu des calomnies. Je les accepte toutes.
Dans le sud du Kérala, de Kanyakumari à Chavara en passant par Kollam, on s’est converti au christianisme sur la côte. Pourquoi ici seulement y a-t-il eu moins de conversions ?
À Kanyakumari, on a converti tous ces gens. Et puis partout, à Kollam et Thiruvananthapuram. Ensuite vers le nord jusqu’à Chavara. Cela s’est passé du temps de mon père. En fait, les chefs spirituels auraient dû les protéger en leur expliquant correctement le Sanatana Dharma. Il n’y a que par ici qu’il n’y a pas eu autant de conversions.
Les gens d’ici sont très attachés à certaines traditions, à certains usages religieux et aux temples locaux. Chaque port de la région compte environ 300 maisons et un temple. Un peu plus loin, 500 maisons et un temple. Ainsi de suite.
En venant ici, je suis passé devant au moins trois grands temples.
Ils vont bientôt construire un autre temple, plus grand. Les gens d’ici continuent à adhérer à la culture ancienne. Si un bateau a pêché pour 100 roupies de poisson, les pêcheurs mettent de côté une part de la prise (entre 10 et 20 roupies). Et ils distribuent cette part gratuitement à tous ceux qui viennent à eux. Et sur cette somme, ils donnent un certain pourcentage au temple (2 %). Et cela qu’ils pêchent en bateau ou en petit canoë. Une fois l’argent divisé, le propriétaire du bateau n’en prend que 35 % et là-dessus, il doit payer le gas-oil et l’entretien.
Après avoir retiré cette somme, le reste est divisé en parts égales ; les pêcheurs n’ont pas une paye fixe journalière. Cette tradition perdure encore aujourd’hui. Lors d’un mariage, chaque personne du village donne une contribution de 1000 (13€) à 2000 roupies, quelquefois jusqu’à 5000 roupies. Il n’y a pas de système d’intérêts. L’argent circule quand quelqu’un d’autre se marie. C’est comme cela que les gens peuvent s’acheter les bijoux en or. Auparavant, personne n’avait de compte en banque. Maintenant si, les gens en ont. À la place, ils achetaient des pots en bronze. Et quand ils n’avaient pas beaucoup de revenus, pendant la mousson par exemple, ils vendaient leurs pots en bronze pour survivre. Ils n’ont pas grand-chose mais ils sont unis. Les familles, la société sont très unies. C’est remarquable : ce système de donner/recevoir pendant les mariages, par exemple. Mais les temples passent avant tout. Dans cette région, on va plus au temple qu’ailleurs. C’est peut-être ce qui explique que les gens se sont moins convertis ici qu’ailleurs. Du côté d’Azhikkal, on a converti plus de gens, environ 200 foyers. Au début seulement quelques foyers, et puis de plus en plus. Mais ici grâce à l’unité des familles, il n’y en a pas eu autant. »