Article de Martin Legros publié le 

Face à une petite catastrophe du quotidien qui est survenue à Martin Legros ce week-end, notre rédacteur en chef a été conduit à convoquer ce que les spiritualités orientales appellent la “sollicitude universelle”. Et cela a marché ! De quoi remettre en question son credo rationaliste ?

 

« C’est une petite stupeur qui m’a saisi samedi quand, en revenant sur le parking après une longue balade en forêt avec toute ma famille, j’ai plongé la main dans la poche de mon manteau et me suis rendu compte que la clé – la seule dont je dispose – de ma voiture n’y était plus. J’avais dû la perdre quelque part en chemin, et il n’était plus temps, alors que le jour commençait à décliner, d’imaginer pouvoir la retrouver en revenant sur les sentiers boueux des bois et des prés empruntés pendant plusieurs heures. Les serruriers contactés nous annoncent qu’ils ne pourront rien faire avant lundi. Nous voilà plantés là, désemparés, avec le repas du soir acheté dans ce petit village à quelques kilomètres de chez moi et deux chiens tout crottés en laisse qu’aucun taxi n’acceptera jamais d’embarquer. Comme ces petits désastres du quotidien n’arrivent jamais seuls, ma mère, venue avec mon père et ma sœur depuis Bruxelles passer le week-end chez moi, prend alors conscience qu’elle a laissé la clé de leur voiture à eux dans la mienne, ce qui les empêche de rentrer au pays le lendemain. Tandis que ma fille y a laissé son cartable avec tous ses devoirs… Après avoir fait appel à une voisine bienveillante pour qu’elle vienne nous chercher dans ce lieu perdu, et dégusté tout de même un excellent repas, nous décidons de partir le lendemain, au lever du jour, refaire la balade en sens inverse.

Au petit matin, passablement fatigués mais l’esprit à l’affût et les yeux grands ouverts, nous balayons le sol en tous sens en nous mettant dans nos propres pas. Mon père, cartésien, réclame déjà que nous élaborions un plan B dans le cas très probable où nous ne retrouverions pas la clé. Tandis que ma mère, versée dans les spiritualités orientales, me signale qu’elle a adressé une pensée à Amma. (Mata Amritanandamayi, dite la “Mère de la Béatitude immortelle”), une femme indienne originaire du Kerala qui parcourt le monde pour embrasser ses millions de fidèles et les ouvrir à son éthique de la sollicitude universelle dont l’idée de base est qu’en se rendant service les uns aux autres de manière désintéressée, les hommes se libèrent de leur karma négatif.

Comme cela me faisait doucement rigoler, ma mère m’explique que, loin de toute magie, convoquer Amma lui permet de suspendre ses soucis latéraux et de s’installer dans un état d’ouverture au monde susceptible de favoriser la découverte des clés. À peine avait-elle terminé son explication que je la vois, à l’arrêt devant un panneau indicateur signalant l’entrée dans la forêt. Je venais moi-même de l’inspecter du regard, sans rien y déceler. Mais ma mère me montre du doigt, silencieusement, une pochette transparente qui y est accrochée avec du scotch. Contenant quoi ? La clé de ma voiture, évidemment !

Euphoriques, nous sommes soudain emplis de gratitude pour la personne inconnue qui a non seulement trouvé la clé, mais pris le temps de rentrer chez elle pour récupérer pochette et scotch et disposer le tout à notre attention, à l’endroit stratégiquement le plus visible. De retour à la maison, réunis autour de la table pour un nouveau festin digne de l’événement, nous nous interrogeons. Faut-il penser, comme ma mère, qu’Amma et sa “gentillesse cosmique” sont intervenues pour que l’on retrouve nos clés ? Ou faut-il considérer qu’il y a eu simple connexion mentale entre ma mère et l’inconnu pour que l’attention paisible de l’une et la prévenance désintéressée de l’autre se croisent ?

Cosmique ou psychique, un petit miracle a eu lieu qui nous a interdit, pour une fois, de nous gausser des convictions de ma mère. Loin d’avoir l’esprit troublé, elle nous a donné une petite leçon de santé mentale – s’il est vrai, comme l’affirme le psychanalyste Donald Winnicottque celle-ci se définit par “la capacité à entrer en imagination dans les pensées, les sentiments, les espoirs et les peurs de quelqu’un d’autre et de laisser ce quelqu’un d’autre en faire autant avec soi”»

 

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