Le 24 septembre à Amritapuri, Amma a marié Radhika et Rateesh, deux jeunes gens arrivés à l’ashram en grande difficulté. Voici leur histoire.

Radhika : « Mon nom est Radhika. Aujourd’hui, samedi 24 septembre 2014, je me suis mariée avec Rateesh, qui travaille à Dubai. Pour tous les deux, la vie a été longue et tragique avant que nous ne rencontrions Amma.

J’habitais à Pathanamthitta. Mais le Mata Amritanandamayi Math est désormais notre foyer à ma petite sœur, Revathi, et à moi. Comment l’ashram est-il devenu notre maison ? C’est toute une histoire baignée de larmes.

Au-delà de Konni, dans le district de Pathanamthitta, il y a un beau petit village qui s’appelle Thekkuthodu, bénéficiant d’une rivière, de ruisseaux, de collines et de plantations d’hévéas … Notre maison était une simple hutte recouverte de feuilles de palmes. Nous étions 6 à vivre sous le même toit, notamment ma petite sœur et mes grands-parents. Mon père était journalier dans les plantations d’hévéas.

D’aussi loin que je me souvienne, nous n’avons jamais mangé à notre faim. En outre, mon père était alcoolique et battait souvent ma mère. Il la soupçonnait constamment. Il était rare que je voie ma mère sans qu’elle ait les larmes aux yeux.

Ma mère disait qu’avant son arrivée, la maison était quasiment vide tellement mon père gaspillait la totalité de l’argent qu’il gagnait pour acheter de l’alcool et d’autres choses inutiles. Je ne trouve pas assez de mots pour décrire le mal que ma mère avait pour subvenir chaque jour à nos besoins vitaux. Les coups qu’elle recevait en retour étaient inimaginables.

Je ne me souviens pas que mon père m’ait jamais acheté quoi que ce soit. Je n’ai pas le souvenir d’un seul moment de bonheur durant toutes ces années. Je me demandais souvent pourquoi nous étions nés. Je n’étais pas trop mauvaise à l’école. Alors, tant bien que mal, je suis arrivée jusqu’en quatrième. Mais à ce moment-là, mon père s’est mis à avoir de gros problèmes psychiques. Il pensait qu’il était hanté par des fantômes. Il s’est très vite trouvé dépendant des médicaments. Ma famille a sombré dans la destruction totale.

Chaque jour, mon père aiguisait un couteau de boucher pour tuer ma mère. Pas une seule nuit sans peur ! L’ombre de mon père nous faisait trembler, ma sœur et moi. Chaque jour, nous priions : « Pourvu que la nuit ne revienne jamais. » Puis, à la nuit tombée, nous nous blottissions contre notre mère. Nous vivions littéralement dans l’ombre de la mort.

Un jour, au mois de décembre, alors que je passais des examens, mon professeur me demanda de venir le voir dès que j’aurais terminé. Quand je suis allée la voir, elle m’a dit : « Ma fille, tu dois rentrer chez toi tout de suite. Ta mère a eu un accident. Ne t’inquiète pas, ce n’est pas grave. Elle était en train de couper du bois et elle s’est blessé le pied avec la hache, c’est tout. Mais rentre tout de suite chez toi. » Sans savoir pourquoi, je l’ai crue.

De loin, j’ai remarqué un attroupement en face de chez moi. En me voyant approcher, quelques voisins sont venus à ma rencontre. En me serrant très fort dans leurs bras, ils m’ont emmenée chez un membre de ma famille. C’est à ce moment-là que j’ai compris que quelque chose de grave était arrivé. Quand j’ai demandé comment allait ma mère, ils m’ont dit qu’elle était à l’hôpital et que mon père était avec elle.

En attendant, j’ai vu des véhicules arriver et se diriger vers chez moi. À chaque fois qu’un véhicule passait, je cherchais ma mère. Finalement, une jeep de police arriva. Un ou deux policiers sont entrés dans la maison. Un peu plus tard, je les ai vu sortir avec un couteau et une serviette. C’était le couteau que mon père aiguisait tous les jours. Ce fut comme un coup de tonnerre : tout à coup, je comprenais ce qui s’était passé. Peu après, mon père a été interpellé et emmené au poste de police.

Dans la nuit, on a ramené le corps de ma mère à la maison. Il était couvert d’un drap. J’ai soulevé le drap et j’ai vu le visage de ma mère couvert de points de suture, totalement méconnaissable. Je ne sais pas ce qui s’est passé par la suite. Quand je suis revenue à moi, j’étais entouré de gens qui m’éventaient. Les membres de ma famille discutaient.

Je me souviens que j’ai été réveillée par les cris de ma sœur. Par la suite, je me suis sentie vidée de toutes mes émotions et mon esprit est devenu aussi calme qu’une pierre. J’étais simplement témoin de tout ce qui se passait. Y avait-il des larmes dans mes yeux ? Je ne sais pas. Mais une part de moi était heureuse que ma mère soit enfin délivrée de notre infernale vie de famille.

Après ça, ma sœur et moi ne sommes jamais retournées à la maison. Nous avons vécu chez mon oncle paternel. Nos proches vivaient tous à peu près de la même façon que nous : c’était l’alcool, les coups et la faim … Au bout de deux ou trois jours, trois membres du N.S.S Karayogam (un organisme d’aide sociale) sont venus. Un grand nombre de voisins et quelques proches sont également arrivés. En les voyant tous rassemblés, j’ai compris que quelque chose d’important allait se produire.

Ils étaient en train de discuter de notre avenir. Nous étions juste deux filles. Personne n’était prêt à nous prendre en charge. Finalement on décida de nous envoyer dans un orphelinat. « Nous sommes orphelines maintenant. » C’en était trop pour moi. Tout ce que je savais à propos des orphelinats, je l’avais appris dans les films ou les magazines. Quand je nous ai imaginées, ma petite sœur et moi, franchissant la grande grille de l’orphelinat, moi qui étais jusqu’à présent très introvertie, j’ai craqué et je me suis cramponnée à ma tante. Personne n’a rien dit.

J’ai lu quelque part que si Dieu nous fait vivre un gros chagrin, c’est en fait pour nous préparer au bonheur à venir. Ma vie m’a prouvé que c’est vrai. Je ne savais pas à l’époque que j’allais passer de la main d’une mendiante aux genoux de l’impératrice de l’amour et de la compassion.

Les gens de Karayogam sont revenus nous voir pour nous parler d’Amma et de ses institutions caritatives. Nous n’avions jamais entendu parlé d’elle auparavant. Alors, quand l’un des plus vieux nous a dit que nous irions le lendemain, j’ai fait oui de la tête, les yeux pleins de larmes. Le lendemain, nous arrivions à Amritapuri.

Nous sommes arrivées à l’ashram exténuées et anxieuses. Amma donnait le darshan. Je l’ai regardée avec crainte et étonnement. Sans savoir pourquoi, je ne pouvais pas la quitter des yeux. Comme un vent frais dissipant de sombres nuages, l’obscurité de mon cœur disparut.

Les gens de Karayogam racontèrent toute notre histoire à Amma. Ils lui montrèrent également l’article de journal qui parlait du meurtre de notre mère. Pendant tout le temps qu’elle les écoutait, elle nous regardait Revathi et moi. Après avoir entendu toute notre histoire, elle acquiesça, comme pour nous accepter.

Amma dit qu’elle allait nous inscrire à l’orphelinat et à l’école à Parippally, et qu’elle voulait que nous étudiions le plus possible. Ensuite, elle nous prit dans ses bras toutes les deux. Elle nous serra très fort et nous couvrit de baisers. Nous n’avions jamais ressenti un tel amour, même auprès de notre mère physique. Nous ressentions une béatitude et une paix indicibles. « Ne soyez pas tristes mes enfants, Amma est là pour vous. Amma vous aidera à étudier autant que vous le voudrez », a déclaré Amma.

Sans trop savoir pourquoi, en entendant les paroles d’Amma, j’acquis la certitude que « Voici ta vraie mère ! » Et tout par la suite contribua à renforcer cette certitude.

C’est ainsi que nous avons intégré l’école de Parippaly. Bien que la vie en foyer soit nouvelle pour nous, je me sentais comme dans une grande et heureuse famille. Nous nous sommes vite habituées à notre nouvelle vie. Il y avait plein d’enfants différents, notamment des enfants de milieu tribal, étudiant et vivant dans le foyer. Bon nombre d’enfants avaient vécu dans des conditions encore pires que les nôtres.

Puisqu’il y avait tant d’affection entre nous, comme dans une vraie famille, personne parmi nous n’aurait pensé à dire que nous venions d’ailleurs. Nous faisions tout ensemble, nous mangions et nettoyions les chambres avec les chechis (grandes sœurs) de l’ashram d’Amma qui s’occupaient du foyer. C’est pour cela que personne n’était triste d’avoir été séparé de sa famille. Des jours heureux sont vite passés, à jouer, rire et étudier.

Au cours du procès de notre père, nous avons dû nous rendre au palais de justice pour faire une déposition en tant que témoins. C’était la première fois que nous voyions notre père depuis la mort de notre mère. L’espace d’un instant, je suis redevenue l’ancienne Radhika. Quand j’ai vu mon père, tous les vieux souvenirs de ma mère qui étaient enfouis sont remontés à la surface. Je ressentais tant de dégoût et de douleur que je n’ai même pas pu le regarder dans les yeux.

Quand nous nous sommes rendues à l’Ashram, j’ai raconté cet incident à Amma. En me serrant fort contre elle, elle m’a dit : « Pourquoi t’inquiéter encore à propos de ça ? Est ce que tu n’as pas Amma maintenant ? » Quel élan d’amour et d’affection maternels ! Comment puis-je expliquer ça ? Une fois encore, tous les souvenirs qui me hantaient disparurent.

Pour la première fois de notre vie, nous avons assisté à un programme culturel dans le cadre de nos études à l’école de Parippaly. Amma nous faisait apprendre beaucoup de formes d’art traditionnel, notamment le Kootiyattam (une sorte de théâtre traditionnel du Kérala en sanscrit). Ce qui nous a valu beaucoup de récompenses dans les compétitions du district et même dans celles de l’État.

Je n’étais pas mauvaise à l’école non plus. J’étais la meilleure élève du foyer. J’ai montré le prix que j’avais reçu à Amma. Elle était si contente et excitée qu’elle l’a raconté à tout le monde autour d’elle. Amma m’inondait de grâce. Plus jeune, je ne pensais même pas finir ma troisième, et pour finir je suis même allée jusqu’au bac. Ensuite Amma m’a demandé de faire une licence en économie et gestion.

C’est comme cela que j’ai réussi ma licence à l’université Amrita. Après cela, Amma m’a conseillé de travailler pendant quelques années avant de passer mon master. Elle m’a ensuite trouvé du travail à l’université Amrita. Elle disait que, de cette manière, j’aurais plus d’expérience et que je profiterais d’autant plus de mon master, une fois que je l’aurais réussi. Pendant les célébrations des 60 ans d’Amma, Amma a adopté 101 villages de toute l’inde dans un esprit de développement durable. De nouveaux projets sont nés de cette initiative et mon travail consiste à servir l’un d’entre eux.

Après deux mois de travail, une femme qui vit à l’Ashram d’Amma, Radhamani Amma, m’a demandé si j’accepterais de me marier avec son fils. J’ai répondu : « Si Amma est d’accord, moi aussi.» J’en ai parlé à Amma qui m’a répondu : « Faites connaissance, parlez-vous. Si vous êtes tous les deux intéressés, je vous marierai. » J’étais vraiment heureuse parce que Radhamani Amma et ses fils vivent eux aussi sous la protection d’Amma. J’ai appris aussi que Radhamani Amma connaissait mon passé familial, mais qu’elle voulait quand-même que je me marie avec son fils.

Quand j’ai appris ce qui s’était passé dans la famille de Radhamani Amma et de Rateesh, j’ai ressenti beaucoup de compassion. Ma vie n’avait elle pas été encore pire que la leur ? Je sais ce que c’est de vivre dans un foyer détruit. Rateesh a ressenti aussi beaucoup de compassion pour moi quand il a entendu mon histoire. C’est en fait la compassion qui a rapproché nos cœurs.

Au début, Amma voulait que je ne me marie qu’après avoir réussi mon master. Mais en voyant notre amour mutuel, quand Rateesh a promis de m’aider à obtenir mon diplôme, Amma nous a donné sa bénédiction.

Nous espérons que notre vie de famille sera bien plus heureuse que celle de notre enfance. Nous prions pour que vous nous bénissiez tous. »

Rateesh :  » Mon nom est Rateesh. Je suis né dans un endroit appelé Korithotta, à Mundakkayam, dans le district de Kottayam. Mon père, Thankacchan était tailleur. Je me souviens qu’il maltraitait ma mère chaque jour. Il la battait même pour la moindre bagatelle.

Ma mère m’a raconté qu’il avait commencé à la maltraiter dès le lendemain de leur mariage. Apparemment, mon père ne voulait absolument pas se marier avec ma mère mais il avait succombé à la pression des siens. Chaque fois que mon père rentrait à la maison, mon grand frère et moi tremblions. S’il ne battait pas ma mère, il nous battait mon frère ou moi. Quand j’allais chez des copains et que je voyais comme ils étaient heureux, cela semait une grande confusion dans mon esprit.

Mon père battait souvent ma mère si fort qu’elle devait être emmenée à l’hôpital. Ensuite son mal est devenu chronique. Il s’est ensuite mis à la menacer avec un couteau. Nous étions constamment maltraités si bien que nous ne voulions même plus rentrer à la maison et notre scolarité en a beaucoup souffert.

Un jour, alors que je rentrais de l’école, ma mère n’était pas là. J’ai pensé qu’elle était partie faire une petite course comme cela lui arrivait pour gagner de l’argent. En fait mon père l’avait agressée au couteau. Elle s’était sauvée, mais prise de panique, elle était tombée en fuyant dans un trou où elle était restée cachée toute la journée. Elle entendait mon père qui la cherchait en surface en criant et hurlant.

Quand elle sortit de sa cachette, elle fila directement à Amritapuri, près de Vallikavu. Elle avait lu des livres sur l’« Amma de Vallikkavil ». Elle se rendit à l’ashram ne doutant pas qu’Amma l’aiderait. Ma mère nous donna de ses nouvelles à mon frère et à moi par l’intermédiaire d’une amie proche.

Mon père s’en prit ensuite à mon frère qu’il se mit à harceler constamment. Comme ma mère, mon frère vint habiter à l’ashram d’Amma. Cependant, à force de vivre avec mon père sans mon frère ni ma sœur, mes études commencèrent à vraiment en souffrir. Je finis moi aussi par me réfugier aux pieds d’Amma.

Amma fit tout ce qu’elle put pour m’instruire, mais je n’en avais pas envie. Par l’intermédiaire d’un dévot, Amma m’a trouvé du travail dans un supermarché Margin-Free Market. J’ai appris à conduire et passé le permis. Au bout d’un moment, on m’a offert un travail à l’hôpital d’Amma à Cochin, mais je n’y suis pas resté longtemps. Je voulais m’amuser, mais je n’avais pas envie de travailler. Bref, je voulais m’amuser sans prendre de responsabilités.

Mais Amma ne voulait pas que je gâche ma vie comme cela. Un de ses dévots a une grande compagnie à Dubaï. Amma m’a envoyé le voir. Je travaille à Dubaï depuis 6 ans. Il y a quelques années, en vue d’un mariage, j’ai acheté un terrain à côté de l’ashram avec l’intention d’y construire une maison. Connaissant mon envie, ma mère Radhamani Amma m’a dit qu’elle m’avait trouvé une jeune fille du nom de Radhika. Quand j’ai appris ce qu’elle avait vécu, j’ai été submergé de compassion et d’amour pour elle. En fait c’est son histoire tragique qui a tourné mon cœur vers le sien. Nous sommes devenus des amis proches. C’est ainsi que nous avons demandé à Amma de nous marier. Quand j’ai entendu que Radhika voulait passer son master, j’ai promis à Amma de l’aider à réussir.

Nous demandons à Jagadguru Amma et à tous ses enfants de l’ashram et d’ailleurs de nous bénir pour que notre famille soit heureuse. »