Voici l’interview de Mathieu Labonne (un des responsables du centre Amma-Ferme du Plessis) dans La Croix
https://kiosque.la-croix.com/ccidist-ws/bayard/la_croix/issues/3120/OPS/GDK1VUIS.1+GS722FJ0.1.html
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Auteur de Servir le monde, la voie de l’écologie spirituelle (2), Mathieu Labonne plaide pour une écologie spirituelle pour dépasser la colère militante.
Dans votre livre (1), vous questionnez la « colère » qui anime certains mouvements militants écologistes. En quoi cette émotion peut-elle être un frein au changement ?
Mathieu Labonne : Je ne critique pas la colère en elle-même – elle existe, elle peut paraître légitime face aux destructions environnementales. Mais je m’interroge sur ses effets. La colère n’est pas forcément bonne conseillère. Si elle devient le seul moteur de l’action, on risque d’adopter une stratégie limitée. Or je ne crois pas qu’on résoudra la crise en aggravant la polarisation de la société. Il faut lutter, mais cela ne suffit pas : il faut surtout développer une pensée plus systémique.
Ceux qui s’engagent pour l’écologie sont déjà, d’une certaine manière, les perdants du système économique actuel dans lequel plus on pollue, plus on s’enrichit. Le risque, pour les militants trop investis émotionnellement, est d’être constamment déçus et malheureux, jusqu’à vivre parfois un burn-out militant.
Or, il faut réussir à trouver de la joie dans l’engagement. La rencontre entre écologie et spiritualité permet cela : une action toute aussi engagée, mais plus détachée du résultat immédiat. Cette approche offre une grille de lecture aidant à dépasser nos émotions pour mieux voir la réalité. La colère empoisonne celui qui la ressent, et brouille le discernement. Quand elle me gagne, j’essaie de faire en sorte qu’elle n’occupe pas tout mon espace intérieur, afin de réagir d’une façon ajustée. Là, les outils spirituels – méditation, discernement – deviennent précieux.
Comment votre ancrage dans l’hindouisme a-t-il façonné votre regard sur l’écologie ?
M. L. : Pendant mes études, j’avais deux aspirations qui coexistaient sans vraiment se rencontrer : l’engagement militant, et la quête spirituelle. J’ai fini par les relier en explorant plusieurs traditions, notamment celle indienne – via l’enseignement d’Amma (2), qui prône un fort engagement dans la société. Dans cette démarche spirituelle, il y a le karma yoga, la voie d’une action désintéressée. J’ai voulu mettre cette attitude au service de ce que je considérais être l’urgence de notre temps : la crise écologique. L’action au service du bien commun devient ainsi un outil de transformation intérieure.
Cette « quête intérieure » peut-elle aider à dépasser le clivage entre « petits gestes » et engagement plus radical ?
M. L. : Ce clivage me semble être un faux débat. Il existe trois échelles d’action : l’individuelle, la systémique/politique, et une intermédiaire de l’engagement collectif, notamment local. Les écolieux, par exemple, rassemblent des gens qui changent de mode de vie ensemble. Ils n’agissent pas directement sur les politiques nationales, mais créent de nouveaux imaginaires et renouvellent des formes de démocratie.
La vraie question, est celle de la cohérence. Se limiter aux actions individuelles est insuffisant, mais on ne peut pas non plus créer une société écologique avec les seuls changements législatifs… Il ne s’agit pas de remplacer un parti par un autre, mais de refonder une société sur un paradigme différent, moins centralisée et avec davantage d’autonomie. L’enjeu n’est pas dans les petits gestes, mais dans la manière qu’a l’être humain de concevoir le monde, et de vivre en relation avec.
Recueilli par Malo Tresca
(1) Qui accompagne des écolieux en France.
(2) Éditions Tana, 2022.
Demain Désepoir face à la crise écologique, comment ne pas devenir
des « doomers » ?
- Mathieu Labonne
- Président et directeur général de la coopérative Oasis (1)