Pushkar a commencé son travail au Mizoram en janvier 2024 par un évènement intéressant. Il a été désigné comme coordinateur de l’Université Amrita pour un nouveau projet visant à améliorer la situation des populations tribales dans l’état du nord-est. Son guide lui a dit de laisser sa valise à l’entrée le temps de faire des courses au marché.
ll a d’abord répondu : « Pas question ! On va me la voler. » Pushkar a grandi à Delhi où les vols sont courants. Mais son guide lui a dit que personne ne la lui prendrait. Il a fini par accepter de coopérer et, une heure plus tard, il retrouvait ses bagages, « sains et saufs ».
« Les habitants du Mizoram sont plus ingénus que ceux du reste de l’Inde. Dans cet état de plus d’un million d’habitants, 95 % appartiennent à des tribus répertoriées », expliqua-t-il.
Ils n’essaient pas de prendre l’avantage. Ils se contentent d’un mode de vie simple. Ils n’ont pas besoin de tricher, mentir, tromper ou de manipuler. »
Pushkar dirige le pôle Science, Technologie et l’Innovation (STI) de l’université, un projet mené en collaboration avec l’Université du Mizoram et financé par le Ministère de la Science et de la Technologie du gouvernement indien.
Son objectif est de restaurer la résilience et l’indépendance des tribus Mizo grâce à la santé, au développement des compétences, à la sensibilisation à l’usage de drogue, à la cybersécurité et à la préservation de la médecine traditionnelle. Une équipe de 15 personnes locales mène des interventions dans les régions d’Aizawl et de Serchhip.
À ce jour, plus de 6000 personnes ont bénéficié d’un soutien à travers des campagnes de santé, des cours d’initiation au numérique, une sensibilisation à l’alimentation et à la nutrition, des stages sur la toxicomanie et l’archivage des pratiques des guérisseurs tribaux.
Le Mizoram est une terre vallonnée où les tribus vivent avec un grand sens de la communauté, elles sont là pour se soutenir mutuellement. Même si certains habitants peuvent être pauvres, ils auront un toit et de quoi manger.
Il s’agit d’une économie agraire avec un taux d’alphabétisation de 92 %, le deuxième plus élevé de l’Inde, où la plupart des gens parlent le Mizo. En outre, de nombreuses personnes ont été converties au christianisme sous la domination britannique et représentent aujourd’hui 87 % de la population. Les voisins se réunissent avec ferveur le week-end pour les activités de l’église.
Néanmoins, Pushkar souligne que les tribus Mizo sont confrontées à de grands défis. Les habitants ont pratiquement perdu leurs connaissances ancestrales en matière d’alimentation, de nutrition et de pratiques de guérison traditionnelles. Dans le monde actuel, le taux de chômage est élevé et l’état ne compte que très peu d’industries. Un des plus gros problèmes est que le transport des matières premières est rendu difficile par le relief accidenté.
Plus préoccupant encore, le Mizoram se trouve en première ligne du Triangle d’Or de l’Asie du Sud-Est, l’un des plus grands couloirs de trafic de drogue au monde. De nombreux jeunes sont pris au piège très tôt. Ils sont également la cible de prédateurs en ligne, et les passeurs finissent par les entraîner dans le travail forcé ou l’exploitation sexuelle.
« Personnellement, il ne m’était jamais venu à l’esprit que je puisse aider les jeunes par le biais de ces interventions », témoigne Frederick Lalhmachhuana, coordinateur de l’équipe Alphabétisation numérique et Ambassadeurs de Sensibilisation des Adolescents (AAA).
L’équipe AAA sensibilise les adolescents aux dangers de la toxicomanie. Au Mizoram, 200 jeunes ont été formés pour sensibiliser leurs camarades de classe. Les programmes d’alphabétisation numérique abordent le trafic d’êtres humains, la cybersécurité et l’utilisation abusive des réseaux internet.
« Cela me permet de devenir une meilleure version de moi-même en acquérant de nouvelles compétences. Et bien sûr, le fait d’être témoin de l’impact positif sur la vie de nos jeunes signifie qu’un avenir meilleur est possible pour nous tous » déclare Frederick.
Les formateurs utilisent des tablettes pour dialoguer avec les enfants, qui sont attirés par la technologie. Au Mizoram, les équipes se rendent dans des écoles, des foyers pour mineurs et des centres de désintoxication. L’alphabétisation numérique vise en particulier les écoles publiques où les familles pauvres envoient leurs enfants, ainsi que les rassemblements d’enfants dans les églises.
Les élèves ont l’occasion d’utiliser des ordinateurs pour la première fois et apprennent ensuite à maîtriser des logiciels de base tels que Word et Excel, l’accès à l’internet et la rédaction de courriels. Cela leur ouvre les portes d’un futur emploi.
Pushkar se remémore la transformation d’un jeune garçon lors de l’une des sessions de AAA d’initiation au numérique.
« C’était un jeune d’environ 13 ans. Il était sur le banc du fond et faisait de l’agitation et du bruit, il n’écoutait rien de la présentation. Mais dès que nous avons sorti les tablettes, il a été conquis », raconte-t-il.
« Ce garçon a été par la suite le premier à lever la main pour dire qu’il avait terminé chaque leçon. Il a ensuite prononcé le meilleur discours de tous les élèves ambassadeurs nouvellement formés. Cela prouve qu’il avait du potentiel. Il suffisait de le canaliser. »
Nous répondons aux besoins sanitaires de base de la population, car il est parfois difficile d’accéder aux centres de santé et aux hôpitaux. Les équipes organisent des campagne de soins médicaux ayurvédiques pour encourager le bien-être holistique et la détection précoce de maladies liées au mode de vie. Elles fournissent des médicaments gratuits et mènent des enquêtes de santé pour mieux comprendre les besoins de la population.
Nous interrogeons également les guérisseurs indigènes afin d’établir un lien encore plus profond avec les connaissances ancestrales du peuple Mizo. Ils ont une riche tradition d’utilisation des herbes locales pour traiter un large éventail de maladies. Leurs pratiques sont en accord avec la nature, mais sont également menacées par le changement climatique. Le centre STI cherche à préserver et à renforcer ce patrimoine inestimable en documentant les pratiques.
« L’objectif est de créer une base de données sur les guérisseurs, les techniques de guérison et les plantes médicinales indigènes », explique Pushkar. « C’est un moyen de préserver leurs connaissances traditionnelles. La plupart des jeunes générations ne s’intéressent pas à ces connaissances et elles risquent alors de se perdre. »
En outre, le projet présente l’Ayurveda à la communauté Mizo et établit des corrélations avec leurs systèmes de médecine traditionnelle. Il ne s’agit pas de remplacer les méthodes de guérison locales ou la médecine allopathique, mais de les compléter et de les faire coexister, en renforçant une approche globale de la santé et du bien-être.
Au cours des quinze dernières années, les indicateurs nutritionnels du Mizoram se sont détériorés, en raison d’une dépendance croissante aux aliments conditionnés et d’un accès limité aux produits frais à des prix abordables en raison du terrain difficile et des problèmes de transport.
Pour remédier à cette situation, l’équipe Alimentation et Nutrition du Pôle STI a établi un partenariat avec les Services de développement de l’enfant (ICDS), qui relèvent du ministère indien des Femmes et du Développement de l’enfant. Des enquêtes approfondies ont été menées pour comprendre le mode de vie et les pratiques alimentaires du peuple Mizo.
Des programmes d’intervention essentiels en matière d’éducation nutritionnelle ont ainsi été mis en place dans les anganwadis. Ces centres du gouvernement indien offrent des services de santé de base, un soutien nutritionnel et une éducation préscolaire aux enfants âgés de 0 à 6 ans. Ils soutiennent également les femmes enceintes et les mères allaitantes.
Le centre STI du Mizoram vise à donner aux travailleurs des anganwadis et aux mères les connaissances et les compétences nécessaires pour lutter contre la malnutrition et améliorer le bien-être nutritionnel des jeunes enfants et des adolescents, en mettant notamment l’accent sur l’anémie chez les adolescents.
L’équipe forme également des entrepreneurs et des femmes de groupes d’entraide à la production de produits alimentaires à valeur ajoutée à partir d’approvisionnements locaux. Les prototypes comprennent des biscuits au moringa, des sachets de thé à l’amla et des nouilles au fruit du dragon. Cela permettra non seulement de renforcer les moyens de subsistance de la population, mais également d’améliorer sa santé nutritionnelle.
Article paru le 8 mai 2025