Le 27 septembre 2017, Mathilde Vermer, écrivaine, a écrit et partagé cet article sur le site internet du réseau Colibris :

 » SADIVAYIL : DU BIO ET DES BIJOUX POUR UNE RENAISSANCE

Pour sortir un village entier de la pauvreté, existe-t-il une formule magique ? Malheureusement, non. En revanche, pour l’aider à faire face, trouver des solutions pertinentes et durables, on peut mettre en place, simultanément, plusieurs programmes ciblés. C’est le pari d’Amrita SeRVE, initiative lancée en 2013 par l’ONG indienne Embracing the World. À travers le pays, une centaine de villages ont été « adoptés » et reçoivent une aide multi-facette, avec le but de les amener à la prospérité et à l’autonomie.

Tout est parti d’un constat : les villes indiennes grouillent de population car les villages, qui produisent pourtant la nourriture de ces villes, n’ont plus les moyens d’offrir des conditions de vie décentes à leurs habitants. Accès à l’eau potable insuffisant, infrastructures électriques défaillantes, illettrisme, manque de soins médicaux, agriculture dont les rendements chutent… Le diagnostic était dramatique. À l’heure où l’ONU, avec les objectifs du Millénaire, a décrété comme priorité l’éradication de la pauvreté, la situation ne pouvait plus durer.

Embracing the World a développé en trois décennies une compétence solide dans les domaines de l’éducation, la santé, la distribution alimentaire, l’écologie… Sa force est de s’appuyer sur des laboratoires de recherche pointus, au sein de l’Amrita University, pour créer des réponses adaptées aux réalités singulières de terrain.

Mobiliser les hommes pour assurer la sécurité alimentaire

J’avais déjà beaucoup lu sur les actions menées mais j’avais envie de plus : voir de mes yeux ce qui se passe dans ces villages, rencontrer les bénéficiaires, écouter les résultats qu’ils ont obtenus en participant. C’est ainsi que j’ai pris la route vers le Tamil Nadu, pour découvrir le bourg de Sadivayil, à une soixante de kilomètres de la cité de Coimbatore.

Dans la voiture, le coordinateur local, Sreeni, me dresse un tableau de la situation à son arrivée : agriculture en faillite, pas d’autre source de revenus pour les habitants, une alimentation qui se raréfie, un taux d’échec scolaire catastrophique, l’alcool qui fait des ravages, la violence qui s’insinue dans toutes les relations.

Il commence, au début, par discuter avec les villageois, il veut comprendre ce qu’ils vivent, quel est leur état d’esprit. Assez vite, il leur propose de cultiver du riz bio. La proposition suscite un rejet frontal. Il fait preuve de pédagogie, explique, désamorce les peurs, et petit à petit, il réussit à les convaincre. Les villageois réunissent ensemble l’argent pour faire les achats nécessaires et apprennent les étapes de la culture biologique (épaulés par étudiants et professeurs de l’université Amrita, qui a un campus à proximité). Très surpris, ils voient ensuite surgir une récolte supérieure à leur espérance, qu’ils sont capables de vendre à un bon prix. La suite ? Cette année, pour augmenter encore les rendements, l’accent sera mis sur la construction d’un système d’irrigation. Dans les yeux des hommes, je le vois au moment où je descends de la voiture, alors qu’un petit groupe vient nous accueillir, il y a désormais de la fierté, et parfois une étincelle de joie.

Permettre aux femmes de générer un revenu complémentaire

Quant aux femmes, elles ont appris à faire du savon et des boucles d’oreilles. Je me presse de faire un tour à l’école, où des cours de soutien scolaire ont été instaurés, je prends quelques photos des enfants puis je file car elles sont impatientes de me parler. Elles m’attendent dans une maison fraîchement repeinte où elles stockent leur production, avant de la vendre sur le campus, à travers des étudiantes qui ont décidé de les soutenir. Je m’assois par terre, comme elles, et soudain devant moi, j’ai plusieurs boîtes avec des boucles de toutes les couleurs. Je farfouille avec gaité, choisit quatre modèles, cadeaux pour mes amies. L’une d’elle me dit d’en prendre une paire de plus, pour moi. Elle dit : nous te l’offrons. Je proteste, je veux bien en prendre une autre, mais je veux payer, elles ont besoin de cet argent. Ma protestation fait naître un brouhaha, elles insistent et ajoutent : choisis la couleur qui te plaît le plus. Touchée par la générosité de ces femmes, je replonge mon nez dans les boîtes. Après cela, satisfaites, elles comme moi, on entamera la conversation, elles pourront me faire part de leur expérience. Elles disent comment elles ont appris à fabriquer les bijoux, elles disent comment elles travaillent ensemble, elles disent le compte bancaire commun qu’elles ont ouvert, où elles déposent l’argent des ventes, où elles prélèvent le nécessaire quand l’une d’entre elle doit financer une facture médicale, un uniforme scolaire, un achat indispensable pour le foyer.

Quand je suis remontée dans la voiture, après avoir serré leurs mains dans les miennes, après avoir tenté par ce geste de dire merci, et aussi j’admire votre courage, et encore je vous souhaite tout le meilleur, j’avais les jambes qui tremblaient un peu. Parce que ce n’est pas tous les jours qu’on arrive à franchir les frontières culturelles et sociales pour faire une rencontre de cœur à cœur. Pas tous les jours, non plus, qu’on peut être l’écho de bonnes nouvelles, être témoin de projets de développement qui fonctionnent, qui entrainent un changement concret et positif pour toute une communauté.  »

Sur les projets Amrita SeRVE : amritaserve.org